• Il s’est écoulé plus d’un mois depuis la dernière fois où j’ai déposé mon désespoir ici. Les débuts ont été fatigants et difficiles.

    La nouveauté est quelque chose de merveilleux et d’effrayant à la fois, particulière à apprivoiser.

    Je pense à tous ces longs après midi, vissée sur ma chaise, les piles de papiers colorés inépuisables étalées sur mon bureau, quand mon esprit volatile se plaisait à imaginer cette nouveauté. Je n’avais jamais eu autant besoin de remplir ma tête et mon cœur de choses nouvelles.

    Aujourd’hui j’ai grandi un peu, modelée par toutes ses longues années d’externat à me sentir confinée dans une prison imaginaire. Je pose un autre regard sur le chemin parcouru, caressant du bout des doigts une certaine forme de liberté.

    Mal réveillée, j’arpente les rues encore sombres et silencieuses de la ville endormie, lisse comme un miroir, légère comme du coton. Je monte dans le train, colle mon front contre la vitre gelée, fascinée par le paysage brouillée par la vitesse.

    Les questions étouffées surgissent et m’arrachent à ma contemplation. Ma conscience s’essaie alors à l’élaboration pompeuse de réponses décousues. Je repense aux adieux doux et sucrés. A la sensation globale qui restera quand on aura oublié. A la part de vide profonde et abyssale. A la chute vertigineuse. Aux tenues bleues du bloc.

     

    Quand on commence à s’épancher, tout déborde.

     

    Petithôpital me soustrait rapidement à ces multiples songes dans lesquels je me prélasse.

    Le quotidien a rattrapé la nouveauté. Les visites me semblent peu à peu moins longues et suivent une certaine logique. Je rédige mes prescriptions avec un peu plus d’assurance. Il y a eu ma première endoscopie. J’étais fière, tenant maladroitement l’endoscope. J’ai gagné en dextérité la deuxième fois et j’ai hâte de retourner au bloc. C’est vraiment bien l’endoscopie et ça change du travail habituel dans le service.

    Les gardes ont été plus douces. Rien avoir avec la première. J’y suis retournée préparée et armée, sachant que je serais seule pour prendre les décisions. Mon carnet magique à la main et un bouquin rempli de protocoles en tout genre dans la poche, j’ai fait preuve de sang froid et je me suis pas trop mal débrouillée.

     

    Bref, ça va mieux!

     

     

     


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  •  J’ai passé une semaine très éprouvante. L’inverse aurait été étrange.

    Un nouvel hôpital, un nouveau statut, des nouvelles connaissances, la première garde. Tout ce changement m’a sacrément secouée. Mon visage a revisité toute la palette de l’arc en ciel, je suis passée par tous les états, perçus tout ce qu’un être humain peut être capable de ressentir. De l’angoisse extrême à l’euphorie.

     

    Dimanche soir, j’étais stressée, mais pas trop. Plutôt excitée en fait.

    Après avoir avalé une grande tasse de tisane pomme cannelle, parcouru quelques pages de mon livre, et lu quelques textos bienveillants, je me suis endormie sereinement, rassurée de savoir que la journée du lendemain ne serait qu’une succession de réunions.

    Conformément à mes attentes, la journée du lundi s’est déroulée comme ce qui avait été annoncé quelques jours plus tôt par les affaires médicales. Rencontre avec le chef de service, premiers contacts avec les cointernes, présentation des logiciels de prescription visite éclair du service, répartition des gardes, défilé interminable et ininterrompu des personnalités importantes de l’hôpital.

    Je suis rentrée chez moi avec un terrible mal de tête, mon cerveau débordé qui tapait contre les parois de ma boîte crânienne.

    La semaine dans le service s’est plutôt bien passée même si nous sommes assez livrés à nous même. Le matin est consacré à la visite et l’après midi aux entrées des patients et aux courriers. En fin de journée, le médecin responsable fait la contrevisite.( résolution des problèmes, vérifie –un peu- ce qu’on a fait, et regarde les bios du matin )

    Il y a une bonne ambiance avec mes deux cointernes, que j’appellerai CoF et CoG par soucis d’anonymat. La seule chose qui me gêne, c’est le manque d’encadrement. J’ai l’impression de jouer à l’apprenti sorcière. Par exemple, je prends l’initiative de faire des bilans, ne sachant pas si je les prescris correctement ou si ils sont bien nécessaires. Inquiète, je demande l’aval du chef qui me répond : « ne t’inquiète, prescris les bilans que tu veux, je ne t’engueulerai pas » C’est rassurant mais je doute que c’est comme ça qu’on progresse.

    Il faut apprendre à chuter. La chute est importante pour se relever et apprendre de ses erreurs.

    Ma première garde aux urgences fut une chute vertigineuse.

    J’ai attendu ma cointerne (interne de premier semestre aussi)dans le hall et nous sommes allées en garde ensemble, assez tendues. Les urgences étaient en tout point différentes de celles de mon ancien hôpital.

    Après quelques brèves informations, j’étais censée maîtriser le logiciel informatique et l’organisation du service.

    J’ai rapidement cédé à la panique. Totalement perdue dans ce dédale, je ne trouvais pas les box, n’arrivait pas à prescrire et à faire fonctionner le logiciel. Contaminée par une angoisse profonde, ne sachant par où commencer, je suis allée voir une première patiente. Le gros lot. Moi, nouvelle interne depuis 4 jours, je me retrouve confrontée à un sepsis sévère ( grosse infection en gros) chez une dame de 93 ans, avec  toutes les comorbidités du monde ( diabétique, hypertension, insuffisante cardiaque, etc.. ) et une tension à 8. Tout s’embrouillait dans ma tête. J’ai appelé un cardiologue peu sympathique et parlé avec le chef, sans parvenir à obtenir de réponses claires. J’ai géré comme j’ai pu, et finalement elle a été hospitalisée dans un service. ( à ma demande.. j’ai compris au milieu de la garde que si on voulait qu’un patient soit hospitalisé, c’était à nous de faire les démarches.)

     Tout ça aurait pu très mal finir compte tenu de mon cruel manque d’expérience doublé d’une incapacité à rassembler et ordonner mes connaissances, dissoutes par le stress.

    On m’a balancé sans précaution dans la fosse aux lions, qui n’ont fait qu’une bouchée de moi !

    C’était sûrement naïf de penser que pour la première garde, quelqu’un s’inquiéterait de nous, vérifierait nos prises en charge, commenterait nos prescriptions et nous aiderait un peu. Le chef n’était pas méchant et on pouvait lui poser quelques questions, mais il restait évasif, vaguement intéressé et ne semblait pas trop se soucier de nos problèmes et de nos patients.

    En plus de ses entrées, nous devions aller voir les patients qui posaient des problèmes dans les autres services. Le téléphone n’arrêtait pas de sonner m’arrachant à mon travail aux urgences. Décontenancée par ses appels, je me rendais dans le service, le cœur serré et l’estomac noué. Je me suis perdue à plusieurs reprises dans le froid, en blouse à manches courtes, sous une pluie battante, ne sachant où aller. Je serrais les poings très fort pour ne pas pleurer. Quand je parvenais enfin au chevet du patient, après avoir noté minutieusement les codes des dizaines de portes qui me barraient la route, je me retrouvais totalement impuissante, incapable de gérer la situation. Embêtée, j’appelais le chef pour qu’il me dise quoi faire.

    La nuit a filé très lentement avec son lot de problèmes. Je me suis sentie dans la peau d’un imposteur.

    Avec le recul, je suis un peu plus souple avec ma conscience. Je suis interne depuis seulement 4 jours et on me demande d’être urgentiste… Qu’est ce que j’aurais pu faire d’autre ?

    La prochaine fois, - qui ne pourra pas être pire - je sais à quoi m’attendre. Je me suis familiarisée un peu avec le logiciel, et je sais que je dois prendre seule les décisions. Je n’irai pas sans armes dans la fosse aux lions. Et surtout, je ne me laisserai pas envahir par la panique qui a fait de moi, une ombre, totalement amnésique, débarrassée de 7 ans de connaissances théoriques.

     


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  • Dans moins d’une semaine je serai interne dans le service d’hépatogastroentérologie d’un petit hôpital périphérique, « petithôpital »

    Nous y sommes allés hier, mon cointerne et moi, comme c’est d’usage, pour nous présenter.

    Après nous êtres débarrassés de quelques formalités administratives pompeuses et interminables, nous sommes tombés par hasard sur l’interne actuel du service. Très sympathique, il nous a fait visité et nous a parlé des différentes pathologies de gastro auxquelles nous seront le plus fréquemment confrontés.

    En arpentant les différents couloirs, j’y ai retrouvé les odeurs familières communes à tous les hôpitaux : le savon, la solution hydro alcoolique, les médicaments, les effluves acres s’échappant des chambres.

    Les infirmières nous ont gratifié de quelques sourires confiants et rassurants. Les secrétaires, salué avec bienveillance. J’ai essayé de garder quelques échos de cette visite éclair pour m’en imprégner avant le grand jour. Ce service sera presque ma chambre et petithôpital  ma maison.

    Petithôpital semble être un espace doux, unique, où tous les internes se connaissent et s’entraident. Il y flotte une atmosphère conviviale très appréciable quand on est un tout nouvel interne.

    Je me souviens quand je regardais les protagonistes de Grey’s anatomy ou d’Urgences (références culturelles incontournables paraît il aussi ^^) avec des yeux brillants et envieux. Je désirais plus que tout être à leur place. Leurs vies édulcorées par la fiction me fascinaient.

    Aujourd’hui l’angoisse a remplacé l’envie. Elle se manifeste doucement, devenant plus grande chaque jour, déployant ses racines robustes.

     

    Je suis terrorisée.

     

     

     


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  • Jamais elle ne s'était méfiée. Il n'y avait eu aucun geste équivoque, aucun prémice. Juste quelques mots échangés sur des centres d'intérêt communs. Ses yeux s'étaient posés sur elle quelques secondes sans s'attarder. Elle aurait du s'approcher plus près pour apercevoir ce qu'il dissimulait derrière ce regard qui ne renvoyait que de la douceur et de la compassion.

    Il avait patiemment tissé sa toile autour d'elle pour la piéger et contrôler ses gestes, afin qu'ils ne soient que le miroir de sa volonté. Dès que les verres en plastique étaient vides, il allait au bar pour les remplir à nouveau. C'était savoureux, un subtil mélange de tiède et de sucré. Impuissante, elle frissonnait quand il lui balança son sourire. C'était comme ça qu'il faisait pour les réduire à néant. Elle sentait ses membres se paralyser, immobilisés par un poids trop lourd. Le temps n'existait plus et le monde flottait autour d'elle. Elle n'était qu'un jouet. Fragile et éphémère, modelé à son image.

    Ses doigts s'enfonçaient dans sa chair, répandant leur poison jusqu'au fond de son corps, dessinant son amour sur sa peau. Ses principes et ses concepts se sont aussitôt brisés sur ses lèvres. L'étreinte était intense. Elle sentait ses rêves vaciller, ses doutes imploser. Les jugements, les regards l'indifféraient.

    Il est parti la laissant dans un univers de glace éternel. Il avait avalé sa vie. Elle ne s'était pas préparée à son absence et à ses silences. Ni à ses oublis violents qui abiment son coeur et brulent ses poumons.


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  • Il ne me reste plus qu'une semaine de stage en tant qu'externe et la prochaine fois que je remettrai les pieds dans un hôpital, ce sera attribuée de mes nouvelles fonctions d'interne. 

     

    Pour faire simple, l'interne est le médecin nouveau né. A peine sorti d'une longue hibernation marquée par l'acquisition d'une tonne de connaissances théoriques sur la base de cas cliniques diverses, l'ENC, le voilà enfin  confronté seul face à de vrais patients.  Fini le temps de l'externat, où il pouvait rêver pendant la visite, se rassurer auprès de son interne pour les missions délicates, oublier les bilans biologiques et être encore hésitant sur la présentation de son patient. Maintenant, c'est à lui de dire à l'externe si il fait bien ou pas, de répondre à ses questions, de signer l'ordonnance, de choisir le bilan biologique et les examens complémentaires les plus adaptés, seul face à sa jolie feuille de prescription et les interrogations incessantes des infirmières. Evidemment (si il a un peu de chance), le chef vérifiera avec lui ses premières prise en charge, lui fera 2/3 remarques ou l'insultera devant la stupidité de ses prescriptions. Il apprendra petit à petit sur le tas sans aucune transition avec sa vie d'avant. Du statut d’externe passif et sans responsabilités, il passera à celui de petit médecin à la tête d’une bonne dizaine de petits patients.                    L’interne apaise les affres et colmate les brèches de l’hôpital. Une main d’œuvre (très) bon marché, multitâches, qui ne se plaint pas et exécute. Il gère aussi bien les problèmes avec les familles, que la gestion des lits et des sorties quand la cadre est en vacances. Discute avec les assistantes sociales, demande des avis partout, dompte sa colonie d’externe, répond aux sonneries incessantes de son téléphone, dicte ses courriers et trouve encore un peu de temps pour soigner le patient, sa principale mission. 

    Au début il sera sûrement un peu perdu, le regard ahuri, un peu agar, et l’assurance viendra obligatoirement.

    La rentrée sera donc synonyme de grand changement pour moi, avec la même appréhension ( en 1000 fois pire ) que la première rentrée au lycée ou à la fac.  Viendra la première visite, le premier certificat de décès, la première entrée, la première garde aux urgences et les premières satisfactions.  J’ai déjà la boule au ventre et en même temps j’ai hâte. Je vais enfin faire ce que j’ai toujours voulu et apprendre la spécialité rêvée.  Même si ce sera dur, bouleversant et éreintant, chaque jour je serai plongée dans un univers qui me plait et dans lequel j’espère être douée.

     En attendant,  je me repose encore sur les épaules de mon interne,  cherchant son approbation pour les prescriptions. Je profite de ces derniers instants de tranquillité, où j’ai le droit de raser les murs, passive, débarrassée des soucis quand je quitte ma blouse et passe les portes de l'hôpital. J’ai retrouvé mes murs oranges moches et les murs bleus azur des soins, bouillant d’excitation quand on m’annonce qu’il y a une hépatite aigue aux urgences. Une transition nécessaire avant le saut dans le grand bain. Sans les brassards cette fois.

     


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