• Premiers pas

     J’ai passé une semaine très éprouvante. L’inverse aurait été étrange.

    Un nouvel hôpital, un nouveau statut, des nouvelles connaissances, la première garde. Tout ce changement m’a sacrément secouée. Mon visage a revisité toute la palette de l’arc en ciel, je suis passée par tous les états, perçus tout ce qu’un être humain peut être capable de ressentir. De l’angoisse extrême à l’euphorie.

     

    Dimanche soir, j’étais stressée, mais pas trop. Plutôt excitée en fait.

    Après avoir avalé une grande tasse de tisane pomme cannelle, parcouru quelques pages de mon livre, et lu quelques textos bienveillants, je me suis endormie sereinement, rassurée de savoir que la journée du lendemain ne serait qu’une succession de réunions.

    Conformément à mes attentes, la journée du lundi s’est déroulée comme ce qui avait été annoncé quelques jours plus tôt par les affaires médicales. Rencontre avec le chef de service, premiers contacts avec les cointernes, présentation des logiciels de prescription visite éclair du service, répartition des gardes, défilé interminable et ininterrompu des personnalités importantes de l’hôpital.

    Je suis rentrée chez moi avec un terrible mal de tête, mon cerveau débordé qui tapait contre les parois de ma boîte crânienne.

    La semaine dans le service s’est plutôt bien passée même si nous sommes assez livrés à nous même. Le matin est consacré à la visite et l’après midi aux entrées des patients et aux courriers. En fin de journée, le médecin responsable fait la contrevisite.( résolution des problèmes, vérifie –un peu- ce qu’on a fait, et regarde les bios du matin )

    Il y a une bonne ambiance avec mes deux cointernes, que j’appellerai CoF et CoG par soucis d’anonymat. La seule chose qui me gêne, c’est le manque d’encadrement. J’ai l’impression de jouer à l’apprenti sorcière. Par exemple, je prends l’initiative de faire des bilans, ne sachant pas si je les prescris correctement ou si ils sont bien nécessaires. Inquiète, je demande l’aval du chef qui me répond : « ne t’inquiète, prescris les bilans que tu veux, je ne t’engueulerai pas » C’est rassurant mais je doute que c’est comme ça qu’on progresse.

    Il faut apprendre à chuter. La chute est importante pour se relever et apprendre de ses erreurs.

    Ma première garde aux urgences fut une chute vertigineuse.

    J’ai attendu ma cointerne (interne de premier semestre aussi)dans le hall et nous sommes allées en garde ensemble, assez tendues. Les urgences étaient en tout point différentes de celles de mon ancien hôpital.

    Après quelques brèves informations, j’étais censée maîtriser le logiciel informatique et l’organisation du service.

    J’ai rapidement cédé à la panique. Totalement perdue dans ce dédale, je ne trouvais pas les box, n’arrivait pas à prescrire et à faire fonctionner le logiciel. Contaminée par une angoisse profonde, ne sachant par où commencer, je suis allée voir une première patiente. Le gros lot. Moi, nouvelle interne depuis 4 jours, je me retrouve confrontée à un sepsis sévère ( grosse infection en gros) chez une dame de 93 ans, avec  toutes les comorbidités du monde ( diabétique, hypertension, insuffisante cardiaque, etc.. ) et une tension à 8. Tout s’embrouillait dans ma tête. J’ai appelé un cardiologue peu sympathique et parlé avec le chef, sans parvenir à obtenir de réponses claires. J’ai géré comme j’ai pu, et finalement elle a été hospitalisée dans un service. ( à ma demande.. j’ai compris au milieu de la garde que si on voulait qu’un patient soit hospitalisé, c’était à nous de faire les démarches.)

     Tout ça aurait pu très mal finir compte tenu de mon cruel manque d’expérience doublé d’une incapacité à rassembler et ordonner mes connaissances, dissoutes par le stress.

    On m’a balancé sans précaution dans la fosse aux lions, qui n’ont fait qu’une bouchée de moi !

    C’était sûrement naïf de penser que pour la première garde, quelqu’un s’inquiéterait de nous, vérifierait nos prises en charge, commenterait nos prescriptions et nous aiderait un peu. Le chef n’était pas méchant et on pouvait lui poser quelques questions, mais il restait évasif, vaguement intéressé et ne semblait pas trop se soucier de nos problèmes et de nos patients.

    En plus de ses entrées, nous devions aller voir les patients qui posaient des problèmes dans les autres services. Le téléphone n’arrêtait pas de sonner m’arrachant à mon travail aux urgences. Décontenancée par ses appels, je me rendais dans le service, le cœur serré et l’estomac noué. Je me suis perdue à plusieurs reprises dans le froid, en blouse à manches courtes, sous une pluie battante, ne sachant où aller. Je serrais les poings très fort pour ne pas pleurer. Quand je parvenais enfin au chevet du patient, après avoir noté minutieusement les codes des dizaines de portes qui me barraient la route, je me retrouvais totalement impuissante, incapable de gérer la situation. Embêtée, j’appelais le chef pour qu’il me dise quoi faire.

    La nuit a filé très lentement avec son lot de problèmes. Je me suis sentie dans la peau d’un imposteur.

    Avec le recul, je suis un peu plus souple avec ma conscience. Je suis interne depuis seulement 4 jours et on me demande d’être urgentiste… Qu’est ce que j’aurais pu faire d’autre ?

    La prochaine fois, - qui ne pourra pas être pire - je sais à quoi m’attendre. Je me suis familiarisée un peu avec le logiciel, et je sais que je dois prendre seule les décisions. Je n’irai pas sans armes dans la fosse aux lions. Et surtout, je ne me laisserai pas envahir par la panique qui a fait de moi, une ombre, totalement amnésique, débarrassée de 7 ans de connaissances théoriques.

     


  • Commentaires

    1
    Olive
    Vendredi 8 Décembre 2023 à 15:58

    Félicitations,

    toutes les premières fois, sont un peu compliquées

    et lorsque l'on tient la vie des gens entre ses mains

    je n'ose imaginé la pression, bravo

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